23 pays ont placé 165 films entre les mains des Journées cinématographiques de Carthage 36… pourquoi ?
Ibrahim Tutunji – CinemaGazette
L’amour de la collaboration: de Ibn Khaldoun à Arij Al Sahairi
À un point de la rue principale de la capitale tunisienne, L’avenue Habib-Bourguiba, se dresse la statue du sociologue Ibn Khaldoun, dont les contributions historiques à l’humanité, à travers des théories précoces dès le XIVe siècle, restent encore aujourd’hui une source d’inspiration.
Le soleil hivernal et doré baigne la statue face à une grande et imposante église, signe d’une ville qui a accueilli jadis des idées venues de horizons culturels variés.
Les Journées cinématographiques de Carthage sont aussi, depuis leur fondation, une élève fidèle de « l’école d’Ibn Khaldoun », qui affirmait que “l’espèce humaine ne peut prospérer que par une seule pratique: la cooperation”.
Le festival n’a pas dévié de cette valeur dans sa programmation de cette édition; c’est un appel pressant et un étendard rouge face à toutes les politiques d’exclusion et de marginalisation, et en son cœur l’exclusion culturelle, comme l’explique le directeur general du festivalTarek Ben Chaâbane, dans un entretien avec l’auteur de ces lignes.

Ainsi se réveillent les récits du cinéma arménien qui, dans certaines dimensions, subit des pressions dans d’autres lieux qui cherchent à dissimuler des histoires racontant la tragédie du « Dépeçage arménien » au début du siècle passé, et aussi les images des migrants africains vers des pays arabes, dont la Tunisie, avec une clarté qui ne laisse percer ni le doute ni les faits, comme dans le film « Ciel sans terre » d Arij Al Sahairi … Le festival permet aussi la projection de 3 longs métrages sur la Palestine, issus de perspectives diverses, dont certains peuvent s’autoriser une certaine autoprise plutôt que d’attaquer l’ennemi, une caractéristique qui n’a pas été abandonnée ni par le personnage tunisien, ni par le sens critique tunisien à travers l’histoire contemporaine du pays, ni par le festival lui-même à travers des films qui ouvrent le débat et le dialogue : « Notre objectif est de traverser vers une déclaration cinématographique et intellectuelle internationale dont les éléments mijotent entre les couloirs et sur les plateaux et en face des écrans et autour des tables rondes… pour ce festival ».
L’amour pour la Palestine: une seule narration ne suffit pas
Le keffieh palestinien n’est plus seulement un symbole historique de la lutte palestinienne face à l’occupant; il est devenu une icône renouvelée et universelle, avec la guerre féroce déclenchée par les centres de décision occidentaux et leurs cercles médiatiques ces derniers temps contre l’expression du refus de l’injustice et les acquis des droits humains et la protection des victimes des guerres.

Ainsi, la « keffieh » circule autour des cous de centaines de festivalistes tunisiens et d’autres nationalités, signe de l’espace de liberté que cette manifestation, comme le pays, offre aux amateurs de cinéma, qui affichent clairement leur soutien sur les tapis rouges et dans les couloirs d’attente et les tables ronds des salles.
Cet appel moral, émanant de consciences qui n’ont pas été corrompues par les pressions, tisse le grand tissu du film palestinien qui se déploie lors de la 36e édition du festival, avec des longs et courts métrages tels que « La Voix de Hind Rajab » (Kaouthar Ben Hnia), « Once upon a time in Gaza » (Les frères Tarzan) et « Palestine 36 » (Annemarie Jacir).

Le jeune réalisateur palestinien Abdullah Al-Khatib, originaire du camp de Yarmouk à Damas qui a subi le siège et une guerre qui a écrasé, dit que « l’agressivité des grandes puissances écrase les sociétés fragiles et tronque leurs récits. Les sociétés palestiniennes partout dans le monde sont fragiles. Nous avons besoin de soutenir leur récit non pas par la pitié mais par la compréhension et l’acceptation; c’est le plus haut niveau de soutien ». Al-Khatib espère que son nouveau long métrage bénéficiera du soutien du programme de développement cinématographique du festival.
L’amour pour la décentralisation: fabriquons un festival dans chaque quartier
Les Journées cinématographiques de Carthage ne veulent pas concentrer leurs activités en un seul endroit, la capitale. La centralisation est à l’opposé de la justice, et donc en opposition avec le cinéma, en tant que porteur de récits qui exigent au cœur d’eux la justice pour les catégories marginalisées qui « n’ont pas de voix » dans les médias officiels ».
Ainsi, pendant 17 ans, les films du festival ont parcouru, parallèlement à sa trajectoire dans la capitale, des villes et des villages dans des wilayas différentes à travers le pays.

« Mais il ne s’agit pas seulement de projeter des films; nous cherchons à former chaque région ou province que nous atteignons sur la manière de créer son propre festival cinématographique », déclare Hamza Al-Haj, à CinémaGazette, responsable de l’organisation des présentations des entités portant le nom « Carthage Proximity ». Ainsi, le tapis rouge devient tapis rouges, et la soirée d’ouverture devient de nombreuses nuits d’ouverture, apportant joie et bénéfice en Tunisie, faisant des « Journes de Carthage » une fête cinématographique nationale.
L’amour pour l’évolution: le cinéma de réalité augmentée
Dans la « Cité de la culture » qui abrite la plupart des salles du festival, le visiteur est accueilli par un ensemble de plateformes installées à l’entrée, équipées de dispositifs électroniques et d’affichages graphiques colorés. Il s’agit de l’événement « Films en réalité augmentée » qui a distingué les Journées cinématographiques de Carthage en y plongeant depuis plusieurs années—avant de nombreux festivals de la région—pour suivre le présent et l’avenir d’un genre cinématographique dont la maîtrise pourrait considérablement évoluer dans les années à venir.

C’est l’expérience immersive des films qui rend le spectateur participant dans le déroulement des événements, ou tout au moins naviguant dans des dimensions tridimensionnelles et quatre fois selon l’image.
Dans cette expérience, l’esprit du destinataire est interpellé par des portes et fenêtres supplémentaires par rapport à celles qui le dominent habituellement lors du visionnage d’un film classique. À première vue, les films présentés au festival peuvent paraître ludiques et divertissants, mais ceux qui prennent le temps d’examiner leurs idées entrevoiront une profondeur humaine et politique majeure dans certains d’entre eux, tels que « Safran » et « Jacques et Flow ».
Mohammed Larbi, responsable de cette section du festival, confie à CinemaGazette : « Nous attirons aussi un public familial important qui vient avec ses enfants pour voir ces films. Ce ne sont que quelques minutes, mais elles suffisent pour transporter l’esprit et le sens vers des espaces et des mondes enchanteurs et inattendus ».
L’amour pour l’influence: des films sur l’armée et les prisonniers
Une des caractéristiques des Journées cinématographiques de Carthage qui en fait une marque distinctive sur le plan des festivals régionaux est sa projection de films dans des casernes militaires et aussi dans les prisons. Cette initiative offre aux militaires « la possibilité de dialoguer avec des récits humains inspirants », tout comme aux détenus et libérés dans les prisons et aux enfants des centres de réhabilitation, le plaisir de regarder les films et d’en discuter.
L’amour pour la liberté: les écrans comme pompe à jasmin
Le cinéma tunisien jouit d’une présence solide à travers l’Afrique et l’Asie, culturellement sur le plan de la trame arabe et aussi francophone.
Considéré comme un cinéma né des luttes, il n’a jamais cessé d’accompagner les formes variées et changeantes de cette lutte dans son pays. Depuis les périodes de l’indépendance jusqu’à la défense des revendications syndicales et des conditions de vie, en passant par la contestation des mécanismes du pouvoir et de l’autorité antérieure à la « Révolution tunisienne », puis en accompagnant les transitions post-révolution, le cinéma tunisien porte une préoccupation politique et sociale à dimensions économiques et psychologiques.
Dans cette édition, le cinéma tunisien marque une présence marquante avec 46 films tunisiens, répartis équitablement entre 23 longs métrages et 23 courts métrages, confirmant la vitalité de la production locale et la diversité de ses expériences, malgré les défis auxquels est confrontée l’industrie cinématographique du pays.

